Tania : mère d’une adolescente anciennement trans.

Tania (prénom modifié), ça fait à peu près un an que je discute avec elle sur Instagram. Elle est éducatrice sociale en Suisse (en France, on dit “éducatrice spécialisée”). Elle vient d’Europe de l’Est, a vécu la guerre dans son pays, et habite en Suisse depuis maintenant 20 ans.

Un jour, sa fille de 13 ans lui dit qu’elle était un garçon. Elle en est finalement revenue. Depuis, Tania s’engage sur le terrain auprès de parents qui ont vécu la même situation qu’elle, dans le but de les soutenir. J’étais sûre qu’elle avait beaucoup de choses à dire, alors on s’est appelées et je lui ai demandé de me raconter ce qui s’est passé avec sa fille. Voici leur histoire. 



Comment tout cela a commencé.

D’abord, je veux préciser que j’ai des amies très proches qui sont comme ma famille et qui sont lesbiennes. Ma fille a grandi avec cet entourage là : un entourage ouvert sur l’autre et sensible à la lutte contre les discriminations. 

Un jour elle a commencé à me parler de la souffrance des enfants trans parce qu’à l’école elle avait lu un livre sur l’histoire d’un enfant trans qui s’était suicidé à cause du harcèlement qu’il avait subi. Ça l’avait beaucoup touché, et nous étions toutes les deux d’accord sur le fait que les discriminations que subissent les personnes trans sont inacceptables.

Suite à ça, elle a commencé à s’intéresser de plus en plus aux souffrances des personnes trans. Et un mois plus tard, elle est venue me dire que depuis toujours, elle savait qu’elle était un garçon, mais qu’elle n’osait pas me le dire. En tant que mère, on voit lorsque son enfant n’est pas authentique, lorsque son enfant répète quelque chose. Et comme ma fille est une fanatique de lecture, ces réflexions étaient venues d’ailleurs. Je sais qu’elle ne s’est jamais sentie mal dans son corps. Le jour de ses règles par exemple a été un jour de célébration, et pas du tout perçu comme quelque chose d’inquiétant.

Elle m’a donc dit qu’elle voulait maintenant être nommée par un prénom de garçon et qu’elle voulait se couper les cheveux. Comme j’ai vu que ça n’était pas authentique, je me suis dit que ça serait une phase. Ma fille fonctionne comme ça. Par exemple, deux mois avant, elle ne voulait porter que des robes des années 50. Son style change constamment, elle se cherche. 

Elle s’est donc coupé les cheveux, et a commencé à se maquiller comme Alice Cooper, avec beaucoup de traits noirs sur le visage. très sombre. j’avais l’impression qu’elle s’était mise dans un rôle. le rôle d’un enfant malheureux. Et j’ai commencé à m’inquiéter.

Le doute comme outil de pensée.

J’ai commencé à me renseigner sur internet. Une année avant, ma fille qui adore Harry Potter m’avait dit que JK Rowling était transphobe. Je ne comprenais pas du tout. J’avais lu l’essai de JK Rowling au sujet de sa position sur le transactivisme et je n’avais rien trouvé de transphobe. Comme je parle trois langues, je suis allée lire les critiques dans ces trois langues, afin d’être sûre de ne pas avoir de biais, et de vraiment essayer de comprendre les arguments des transactivistes. Mais je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient. Pourtant l’essai de JK Rowling était lui très simple et très logique.

Dans ma pratique professionnelle, j’ai appris à toujours me remettre en question. Je me suis même demandée si j’étais moi-même transphobe, pour arriver à la conclusion que non. Moi qui aies grandi avec des amies lesbiennes, quand j’ai découvert l’idéologie transgenriste, j’ai trouvé que c’était de la pure homophobie. J’aime mes amies lesbiennes, et le fait de savoir qu’on pourrait leur dire qu’elles sont transphobes parce qu’elles n’aiment pas les pénis est une aberration. L’une de mes amies très proche est l’une des vétéranes de la lutte pour les droits des personnes homosexuelles de mon pays d’origine. Elle a beaucoup souffert à cause de ça. Et le fait de découvrir que le mouvement auquel elle appartient tient des propos lesbophobes, ça m’a fait pleurer. Pour moi c’est une trahison de la part de personnes qu’elle défend.

l’établissement scolaire de ma fille l’a poussée à faire son coming-out.

Deux semaines après s'être coupé les cheveux, elle est rentrée de l’école et m’a dit que son coming-out était prévu deux semaines plus tard. Là j’ai commencé à me sentir très mal. J’ai eu peur qu’elle se fige dans une identité dont il serait difficile de sortir : après avoir fait un coming-out, c’est difficile de revenir dessus. Alors je lui ai dit que je ne pensais pas que les choses devaient se faire comme ça. On doit d’abord sensibiliser l’environnement, afin de ne pas prendre de risques quand aux réactions de l’entourage.

J’ai réalisé que ça faisait déjà plusieurs mois, que ma fille s’identifiait comme trans, et qu’elles étaient tout un groupe d’amies à se labelliser gender-fluid, non-binaire, trans, asexuelle, pansexuelle. C’était devenu son obsession. Elle s’était beaucoup documentée sur internet et avait identifié toutes les étapes de la transition. Elle voulait donc commencer par la transition sociale à l’école.

Un jour, elle s’est retrouvée dans le cabinet de médiateurs scolaires, sur la porte duquel figurait une grande affiche afin d’encourager les enfants à venir discuter de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Le médiateur scolaire l’a orienté vers la déléguée à la santé scolaire qui avait été formée afin d’inciter les élèves à faire leurs coming-out, sans que la direction ne le sache. Ce type de dispositif existe dans quasiment toutes les écoles en Suisse. Le coming out a été planifié six jours après sa discussion avec la déléguée de la santé scolaire.

Si l’environnement n’est pas prêt à recevoir le coming-out, l’adolescente en question peut se retrouver en danger. La déléguée à la santé a demandé à ma fille si elle souhaitait informer ses parents ; ma fille a répondu non. Les profs, eux, ont été informés du changement d’identité de genre de ma fille, mais pas moi. Elle a dit à ma fille qu’il fallait se presser pour faire le changement d’usage car l’administration scolaire est très lente. Ma fille m’a raconté tout ça d’elle-même, et je me suis vraiment dit “Là, mon enfant est en danger”.

Étant travailleuse sociale, je suis tout de suite allée chercher les bases légales d’une telle intervention. La brochure officielle que j’ai trouvée correspondait à la situation que ma fille vivait : tout était basé sur le principe d’auto-détermination de l’enfant et la capacité de discernement. Or, grâce à ma pratique professionnelle, je sais que la capacité de discernement ne peut pas s’évaluer en seulement deux séances, c’est quelque chose de complexe. Il faut expliquer à la personne les possibles conséquences de l’acte qu’elle s’apprête à faire. On doit explorer en profondeur toutes les possibles conséquences et s’assurer que la personne a bien conscience des différents dangers auxquels elle s’expose. Par exemple, lors d’un coming-out, l’enfant peut subir des discriminations et des violences à cause de cela. Donc pour moi il était évident que cette professionnelle n’avait pas bien fait son travail sur cette question là. J’ai donc expliqué ça à ma fille.

Avec le père de ma fille, nous avons demandé à être reçus dans son établissement scolaire en urgence. Le doyen nous reçu, et il a été choqué, scandalisé ; il s’est excusé. Nous lui avons dit que nous ne partirions pas de l’école tant que nous n’aurions pas l’assurance que tout contact entre ma fille et cette professionnelle serait interdit. Deux semaines plus tard, nous avons rencontré cette personne ainsi que le directeur de l’école. Nous avons exposé tous nos arguments. On a eu de la chance car c’était la fin de l’année scolaire. Pendant l’été, ma fille a donc été à distance de ce cluster de filles trans, nous sommes parties en vacances, et ça lui a permis de prendre du recul. On lui a aussi trouvé une bonne psy. 

Le rôle de l’entourage et des réseaux sociaux.

Le père de ma fille et moi sommes séparés. Nous faisons une garde partagée. J’ai appris qu’avant qu’elle m’affirme qu’elle était un garçon, chez son père, elle avait accès à un téléphone portable avec lequel elle allait sur des réseaux sociaux comme Tiktok. Quand j’ai découvert l’existence de ce téléphone, j’ai fouillé dedans, et j’ai vu qu’elle ne consommait que du contenu relatif à l’identité de genre. J’ai découvert tout le monde des influenceurs et influenceuses, dont certains affirmaient que si tu te questionnes sur ton identité de genre, alors tu es forcément trans. Il n’y a aucun espace de réflexion ; c’est de l’affirmation pure. J’estime qu’il y avait une forme d’emprise sectaire. Ma fille a subi un lavage de cerveau.

Les personnes qui font des coming-out sont souvent célébrés par leur entourage social. c’est très à la mode. Et ma fille qui a subi du harcèlement pour des raisons tout autres, n’était pas très populaire dans son établissement scolaire. Et je pense qu’elle a vraiment trouvé un moyen pour devenir un centre d’attention. 

Je parlerai de contagion sociale, car comment expliquer que sur une classe de 25 élèves, cinq d’entre eux s’identifient trans ? Il n’y a rien d’organique là-dedans. Et la classe de ma fille n’est pas la seule classe dans laquelle ça arrive. En Suisse, il y a parfois des clusters de 10 à 15 à filles par classe, pouvant aussi inclurent des jeunes hommes (même si ceux-là restent minoritaires) qui s'identifient comme trans. Ce phénomène touche rarement des individus isolés. C’est une mode.

Ma fille n’a finalement pas fait son coming-out trans.

Ma fille n’a finalement pas fait son coming-out. J’ai compris les enjeux tout de suite, car tous les standards n’ont pas été respectés. L’argument qui l’a fait changer d’avis a été que cette intervention n’a pas été faite de manière adéquate par la déléguée à la santé. J’ai simplement demandé à ma fille de prendre un peu de temps pour réfléchir et j’ai abordé les choses petit à petit avec elle. C’est d’ailleurs le conseil que je donnerais à des parents qui se trouvent dans la même situation que celle que j’ai vécu : essayer de ne pas brusquer leurs enfants ; leur dire de se donner le temps de grandir tranquillement, d’expérimenter tout ce qu’ils veulent, et de ne pas faire des choses irréversibles, car rien que la transition sociale, ça n’est pas anodin, c’est difficile de revenir dessus, après ça on attend de l’enfant qu’elle ait certains comportements, on la traite comme un garçon, et donc elle peut se sentir obligée de répondre aux attentes des autres. Tout d’un coup ça crée une sorte de surenchère, un besoin de prouver qu’elle est vraiment un garçon.

On fait confiance aux enfants non pas juste pour s’auto-déterminer, mais aussi pour s’auto-diagnostiquer. D’ailleurs, en Suisse, certains psy donnent un diagnostic de dysphorie de genre après trois rendez-vous. Je trouve ça grave. Il faut laisser les enfants tranquilles, les laisser expérimenter les choses de façon naturelle, et ne pas les mettre dans des cases dont ils auront du mal à sortir, car les prochaines étapes c’était la transition sociale, la prise d’hormones, et les opérations chirurgicales…

Concernant l’école, j’ai contacté la responsable hiérarchique de la délégué à la santé, j’ai contacté des personnes dans le ministère de l’éducation cantonale en pensant naïvement qu’on allait m’aider. Avec le père de ma fille, nous avons écrit des courriers à ce ministère, et nous avons reçu la réponse comme quoi une procédure avait été enclenchée afin de tirer la situation au clair. Cela a eu lieu fin Avril. En décembre de la même année, l’intervention a été formalisée, et rien n’a été changé. 

Je suis en contact avec des parents dont la situation est encore pire : la garde de leurs enfants leur a été retirée (au moins temporairement) parce qu’ils ne cautionnent pas leur changement de genre.


L’ambiance autour de la question du genre me rappelle des situations de guerre que j’ai connues dans mon pays d’origine.

J’ai eu des accrochages avec certaines de mes amies sur ce sujet. L’une de mes copines lesbiennes a commencé à devenir de plus en plus queer malgré le fait qu’au début elle était scandalisée par l’intervention qui a eu lieu auprès de ma fille. Et quand tes valeurs et tes opinions deviennent de plus en plus différentes de celles de tes amies, un creux se fait.

Tu sais, moi j’ai été réfugiée de guerre, j’ai vécu des situations très difficiles. Et ce type de tensions dans des relations familiales et amicales, je l’ai déjà vécu pendant la guerre dans mon pays. Des familles explosaient parce que certains étaient de telle ou telle origine, et qu’il y avait différentes filiations politiques. Des enfants ne communiquaient plus avec leurs familles pendant des années, parce que certains soutenaient le régime et d’autres non. Ce sont des situations de grandes crises où ta filiation politique et ta proximité en termes de valeurs est très importante. Et tu te rends compte que dans des situations comme celles-là, c’est important de maintenir le lien humain et de ne pas couper les ponts.

C’est pour ça que j’essaye de maintenir la relation avec mon amie et de voir ça comme une expérience corrective dans le sens où tous ces déchirements de famille qui ont eu lieu pendant la guerre, c’était très douloureux. Je me dis que j’ai déjà vécu ça une fois, et que je ne veux plus le vivre, ne plus voir les mêmes erreurs se reproduire. Alors j’essaye de ne pas parler de ça avec elle et de mettre de côté ce qui pourrait nous séparer pour préserver notre amitié. Le fait d’avoir déjà vécu ça pendant la guerre me permet de vite reconnaître les risques qui pourraient mettre notre relation en péril.

Marguerite Stern

Marguerite Stern est co-fondatrice de Femelliste. Vous pouvez soutenir son travail sur Patreon.

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